Extraits de documents : Des femmes dans la pratique de la Science Chrétienne dans l’Ouest américain
L’année dernière, les Documents Mary Baker Eddy ont publié « Open a public institute at once » [Ouvrez un institut public immédiatement], un article sur des élèves de Mary Baker Eddy qui, à son initiative, ont créé des instituts pour enseigner la Science Chrétienne à travers les Etats-Unis. Dans des villes comme New York, Chicago et Syracuse (Etat de New York), des femmes comme Laura Lathrop, Ellen Cross, Mary M. W. Adams et Elizabeth Webster ont créé des écoles pour assurer l’accessibilité et la pureté de l’enseignement de la Science Chrétienne.
Plus à l’ouest, Sue Ella Bradshaw et Minnie B. Hall De Soto ont fondé des instituts en Californie et au Colorado. En cherchant à appliquer les instructions de Mary Baker Eddy dans le paysage accidenté de l’Ouest américain, ces femmes ont rencontré une série de défis directement liés à leur sexe et à la vie sur le front pionnier (« la Frontière »). Malgré ces difficultés, ou peut-être grâce à elles, Minnie De Soto et Sue Bradshaw ont toutes deux introduit les enseignements de Mary Baker Eddy dans l’Ouest américain. Leurs lettres nous donnent un aperçu de ce qu’était la vie dans l’Ouest et révèlent qu’elles voyaient là un terrain prometteur pour l’établissement de la Science Chrétienne.
Minnie De Soto écrit à Mary Baker Eddy en février 1886 : « Nous espérons en faire la religion de l’Ouest. Denver est assurément prise d’assaut. »1 A cette époque, Mme De Soto voyage également dans le Colorado et en Californie, où elle enseigne et pratique la guérison. En août 1886, elle écrit à Mary Baker Eddy :
Je viens de donner mon dernier cours de S.C. à ma classe à Oakland, et je me réjouis beaucoup de la compréhension de mes élèves. Vraiment, du point de vue matériel, ils auraient pu être des élèves très difficiles, mais je m’en suis très bien sortie. Ce sont des personnes très instruites, qui m’ont posé plus de questions qu’elles n’imagineraient en poser à un professeur d’université, mais j’ai pu leur apporter des réponses, ce qui m’a semblé vraiment merveilleux…2
Trois mois plus tard, elle écrit une autre lettre. « J’ai maintenant une classe très agréable de 16 personnes – tous maris & femmes – à Greeley, dans le Colorado », rapporte-t-elle. « J’ai guéri presque tout le monde. Greeley est une ville qui a grandi avec la prohibition, les gens semblent des plus fervents, à peine établis, et il n’y a pratiquement pas de spiritualistes dans la ville… »3
Les lettres de Minnie De Soto reflètent ses impressions sur les personnes les plus aptes à recevoir les enseignements de la Science Chrétienne. Elles témoignent également de sa confiance accrue en sa capacité à transmettre ces enseignements.
Pour sa part, Sue Ella Bradshaw écrit à Mary Baker Eddy au cours de l’été 1886, en réponse à son appel à la création d’instituts de la Science Chrétienne :
J’ai acheté une propriété à San José l’année dernière pour la cause de la S.C., et si on pouvait créer une école indépendamment des élèves, ce serait déjà fait. Lorsqu’on saura que je vais enseigner, je pense que cette difficulté disparaîtra. Je suis restée si discrète jusqu’à présent, mais je devrais pouvoir parler à présent… Je souhaitais rester à San José, s’ils veulent bien m’entendre, parce qu’à mon avis, c’est la ville principale, la ville de la prophétie et de la promesse, surnommée l’Athènes de la Californie et la ville jardin. Beaucoup pensent que cette petite vallée est un paradis terrestre…4
Comment les circonstances de l’époque ont-elles influencé leur perception de la Science Chrétienne, de la société occidentale et du rôle qu’elles y ont joué ? Des débats perdurent, aujourd’hui encore, afin de savoir comment la vie sur les pistes et le front pionnier a modifié le rôle des femmes et leur place dans la société. Une étude du travail accompli par ces scientistes chrétiennes permet d’illustrer la diversification des rôles des hommes et des femmes dans l’Ouest américain à la fin du dix-neuvième siècle.
En réponse à la thèse de la Frontière avancée par l’historien Frederick Jackson Turner, selon lequel la colonisation de la frontière sauvage de l’Amérique a été essentielle au développement d’une forme unique de démocratie aux Etats-Unis, les historiens qui ont étudié la condition des femmes dans l’Ouest américain considèrent que la région était particulièrement bien adaptée à des institutions démocratiques plus simples. Ils soulignent que le front pionnier offrait aux femmes un espace d’une plus grande liberté politique et économique, où elles pouvaient agir, au moins en partie, sans la contrainte de l’idéologie victorienne en matière de genre. D’autres ont conclu que les possibilités étaient moindres pour les femmes vivant à la Frontière, pointant plutôt un retour réactionnaire à ce qui leur était familier. Ces chercheurs pensaient qu’en l’absence de structure et de cadre traditionnel, les femmes s’accrochaient d’autant plus fermement à la conception victorienne de la « vraie féminité », afin de préserver leur influence morale.5
Ensemble, les expériences de Sue Bradshaw et de Minnie De Soto témoignent de l’influence durable du pouvoir exercé par la Frontière sur la division du travail entre hommes et femmes. Les deux femmes ont œuvré à la création d’instituts de la Science Chrétienne dans l’Ouest des Etats-Unis, assumant un rôle de leadership au sein de communautés et d’organisations religieuses, et jouissant d’une liberté et d’une influence nouvelles en tant que femmes. La création et la supervision d’un institut impliquaient de nombreuses activités, notamment la gestion d’établissements, la rédaction, la publicité, l’enseignement et la guérison. Cela montre à quel point les femmes engagées en Science Chrétienne ont travaillé dur pour propager ses enseignements, tout en saisissant les nouvelles opportunités qui s’offraient à elles.
En tant que femme vivant à San José, en Californie, en 1880, Sue Bradshaw faisait déjà partie d’une minorité. L’Etat comptait 10 hommes pour 6 femmes. San José avait conservé de nombreux vestiges de l’époque de la ruée vers l’or, ayant évolué d’un poste de traite pour ceux qui travaillaient dans les mines, dans la vallée de Santa Clara, en un centre agricole. Sue Bradshaw est arrivée à San José après le mariage de sa mère en 1871. Après avoir passé quelque temps à Philadelphie, Chicago et Boston, où elle a étudié au Massachusetts Metaphysical College, elle revient à San José pour enseigner elle-même la Science Chrétienne. En réponse à Mary Baker Eddy qui l’encourage à établir un institut en Californie, elle écrit en 1886 qu’elle a déjà acheté une propriété à San José l’année précédente en ayant la Science Chrétienne à l’esprit.6 La propriété de Mme Bradshaw, située au 189 South Second Street, devient bientôt le siège de l’Institut métaphysique de Californie, constitué en tant que société en 1886. Une annonce parue dans The Christian Science Journal informe qu’il accueille des patients et offre « la possibilité de suivre un cours sur la pratique de la guérison-Entendement de la Science Chrétienne, sur la côte Pacifique ». Mme Bradshaw continuera d’enseigner et d’accomplir des guérisons pendant des années.
Au Colorado, Minnie De Soto (alors Minnie B. Hall) a connu une situation similaire. Comme en Californie, la découverte de gisements d’or à Cripple Creek a entraîné un afflux d’aventuriers qui se sont installés dans la région. La liaison avec le chemin de fer transcontinental a permis à la ville de prospérer et de se développer en tant que centre d’élevage de bétail et d’exploitation minière. Ces industries étant dominées par les hommes, Minnie De Soto faisait partie d’une minorité – tout comme Sue Bradshaw. Bien qu’issue de la deuxième génération de colons, Mme De Soto était née de parents dynamiques et entreprenants, et était probablement mieux adaptée à cette vie sur le front pionnier et plus au fait des difficultés d’une telle vie, que Sue Bradshaw. Sa mère, Mary Melissa Hall, avait déménagé vers l’Ouest avec son premier mari, Nathan Nye, pour participer à la ruée vers l’or. Mais Nye était devenu alcoolique et violent, et il avait abandonné sa femme dans un camp de mineurs. Alors qu’elle vivait seule dans une vallée montagneuse du Colorado, entourée de prospecteurs essentiellement masculins, Minnie De Soto avait soigné deux hommes qui avaient disparu du camp depuis plusieurs semaines. L’un d’entre eux, Charles Hall, était devenu son second mari et avait fait fortune en exploitant une mine de sel. Plus tard dans sa vie, Mme De Soto a eu une blessure au pied, qui mettait sa vie en danger. Elle s’est rendue dans l’est pour se faire soigner. Elle a été guérie à Chicago grâce à la Science Chrétienne. Après son retour à Denver avec ses filles, la nouvelle de sa guérison a contribué à faire connaître la Science Chrétienne dans toute la ville.7
Grâce à la guérison et à l’exemple de sa mère, Minnie De Soto est vraisemblablement plus à même de remettre en question les normes de la génération précédente concernant le rôle des hommes et des femmes. Une lettre de février 1886 adressée à Mary Baker Eddy montre qu’elle a reconnu la nécessité d’enseigner la Science Chrétienne à Denver :
Il me semble que Denver a besoin d’un professeur de votre College. Tant de personnes qui ne connaissent pratiquement rien de ce travail essaient d’enseigner ici. Accepteriez-vous que je suive les différents cours avec vous, l’un après l’autre ? C’est un long voyage et j’aimerais rester au College jusqu’à ce que nous ayons terminé…8
Jusqu’alors, Minnie De Soto avait enseigné avec succès. « Notre maison est bondée du matin au soir », déclare-t-elle. « Nous avons plus de 60 patients réguliers en plus de nos patients absents, mais je pense qu’il n’est pas bon que ceux qui n’ont pas prouvé par eux-mêmes que Tout est dans la Science Chrétienne proposent un enseignement. »9
Mary Baker Eddy lui écrit en septembre pour l’encourager à ouvrir un institut de Science Chrétienne à Denver. Bien que Minnie De Soto se montre intéressée par ce projet, elle consacre d’abord un certain temps à voyager à travers l’Ouest et à enseigner dans divers endroits. Comme Minnie De Soto semble avoir négligé d’ouvrir un institut à Denver, Mary Baker Eddy lui écrit une seconde fois en septembre 1886 : « Ma chère enfant, quand suivrez-vous mon conseil d’ouvrir un institut vous-même ? »10 Elle poursuit : « Le mesmérisme est en train de vous duper. Alors que vous vous plaignez du travail des hors-la-loi de cette Science, vous oubliez qu’ils vous devancent en énonçant les premiers leurs prétentions fallacieuses. » Et elle lui rappelle : « Si vous aviez commencé quand je l’ai dit, c’est eux qui se seraient trouvés sur la défensive et non vous. Mais votre retard a inversé la situation, leur donnant l’avantage. »11
En fait, Minnie De Soto avait ouvert un institut à Denver. Une note écrite de sa main sur cette lettre de Mary Baker Eddy datée de septembre indique qu’elle avait déjà obtenu une charte pour son institut le 23 août 1886, et qu’elle avait donné le cours à sa première classe auparavant, le 8 juin.12 L’institut de Minnie De Soto, comme celui de Sue Bradshaw, a contribué à diffuser la Science Chrétienne dans l’Ouest américain, en veillant à ce que l’enseignement soit conforme aux écrits et aux enseignements de Mary Baker Eddy.
Parce qu’elles étaient des femmes et qu’elles ont exercé un rôle de leadership à la frontière ouest de l’Amérique, Mmes De Soto et Bradshaw ont toutes deux dû faire face à des défis particuliers. Les populations très majoritairement masculines de Denver et de San José ont rendu leur travail encore plus difficile. Cependant, la redéfinition des rôles des deux sexes à l’époque de la migration vers l’Ouest américain, et durant les premières années de vie sur le front pionnier, semble avoir eu un impact durable sur la capacité de ces deux femmes à exercer une influence dans un monde dominé par les hommes.
Cet article est aussi disponible sur nos sites en allemand, anglais, espagnol et portugais.
- Minnie B. Hall De Soto à Mary Baker Eddy, 11 février 1886. https://mbepapers.org/?load=223A.37.005
- Minnie De Soto à Mary Baker Eddy, 13 août 1886, 223A.37.012. https://mbepapers.org/?load=223A.37.012
- Minnie De Soto à Mary Baker Eddy, 28 novembre 1886. 223a.37.014, https://mbepapers.org/?load=223A.37.014.
- Sue Ella Bradshaw à Mary Baker Eddy, 15 juin 1886, 183.31.009. https://mbepapers.org/?load=183.31.009
- La vraie féminité était un idéal de la femme du dix-neuvième siècle véhiculé par les magazines féminins et la littérature religieuse de l’époque. Une « vraie femme » se distinguait par sa piété, sa pureté, sa soumission et son attachement au foyer. Ces valeurs ont été remises en question lorsque les pressions de l’Amérique du XIXe siècle (les mouvements de réforme sociale, la migration vers l’Ouest, l’activité missionnaire, les organisations utopiques, l’industrialisation et la guerre de Sécession) ont incité les femmes à chercher d’autres solutions. Voir Barbara Welter, « The Cult of True Womanhood: 1820–1860 » [Le culte de la vraie féminité : 1820-1860], American Quarterly, vol. 18, n.o 2, part 1 (été 1966), 152, 174 ; Earl Pomeroy, « Toward a Reorientation of Western History: Continuity and Environment » [Vers une réorientation de l’histoire de l’Ouest : continuité et environnement], Mississippi Valley Historical Review 41 (mars 1955), 579-600 ; Julie Roy Jeffrey, Frontier Women: The Trans-Mississippi West, 1840–1880 [Les femmes de la frontière : l’Ouest trans-mississippien, 1840-1880] (New York: Hill & Wang, 1979) ; Katherine Harris, « Sex Roles and Work Patterns among Homesteading Families in Northeastern Colorado, 1873–1920 » [Rôles assignés à chacun des sexes et modèles de travail au sein des familles d’exploitants agricoles dans le nord-est du Colorado, 1873-1920], Frontiers 7, n.o 3 (1984), 43-49.
- Sue Ella Bradshaw à Mary Baker Eddy, 15 juin 1886. 183.31.009.
- Voir Webster Lithgow, « A Westward Wind Part 2: Colorado » [Un vent d’ouest, partie 2 : Colorado, https://www.longyear.org/learn/research-archive/a-westward-wind-part-2-colorado/
- Minnie De Soto à Mary Baker Eddy, février 1886, 223A.37.003. https://mbepapers.org/?load=223A.37.003
- Minnie De Soto à Mary Baker Eddy, février 1886, 223A.37.003.
- Mary Baker Eddy à Minnie De Soto, 5 septembre 1886, L05496, https://mbepapers.org/?load=L05496
- Ibid.
- Ibid.